Tuesday, February 26, 2008

Vauvenargues - Selected Maxims

C'est un grand signe de médiocrité de louer toujours modérément.
It's a great sign of mediocrity to present oneself always as moderate (or: in moderation).

C'est un malheur que les hommes ne puissent d'ordinaire posséder aucun talent sans avoir quelque envie d'abaisser les autres.
It's sad that men cannot ordinarily possess a talent without wishing to debase those of others.

C'est être médiocrement habile, que de faire des dupes.
It's a mediocre skill, making dupes of people.

Ce qui fait qu'on goûte médiocrement les philosophes, c'est qu'ils ne nous parlent pas assez des choses que nous savons.
The reason we have distaste for the philosophers is that they don't speak enough of things we know.

Ceux qui se moquent des penchants sérieux aiment sérieusement les bagatelles.
Those who mock serious inclinations love trifles seriously.

Il est difficile d'estimer quelqu'un comme il veut être.
It is difficult to judge a person like he wishes to be.

Il est faux que l'égalité soit une loi de nature. La nature n'a rien fait d'égal; la loi souveraine est la subordination et la dépendance.
It is untrue that equality is a law of nature. Nature makes nothing equal; the supreme law is subordination and dependence.

Il est plus aisé de dire des choses nouvelles que de concilier celles qui ont été dites.
It's easier to say new things than to reconcile those already said.

Il n'y a peut-être point de vérité qui ne soit à quelque esprit faux matière d'erreur.
There is perhaps never a truth which is not to some mind a matter of error.

Il y a des gens qui n'auraient jamais fait connaître leur talents, sans leurs défauts.
There are men who cannot make their talents known without also showing their faults.

Il y a des semences de bonté et de justice dans le coeur de l'homme, si l'intérêt propre y domine.
There are seeds of goodness and justice in the hearts of men, if self-interest there dominates.

Il y a plus de grandes fortunes que de grands talents.
There are more great fortunes than great endowments of talent.

L'espérance est le plus utile et le plus pernicieux des biens.
Hope is the most useful and the most insidious [lit.: pernicious] of gifts.

L'espérance fait plus de dupes que l'habilité.
Hope makes more fools than wit does.

L'estime s'use comme l'amour.
Respect wears itself down like love.

L'incrédulité a ses enthousiastes, ainsi que la superstition.
Incredulity has its enthusiasts, just like superstition.

La clarté est la bonne foi des philosophes.
Lucidity [lit.: clarity] is the best faith of philosophers.

La guerre n'est pas si onereuse que la servitude.
War is not as onerous as servitude.

La générosité souffre des maux d'autrui, comme si elle en était responsable.
Generosity suffers under the faults of others, as if she were responsible for them.

La haine des faibles n'est pas si dangeureuse que leur amitié.
The hate of the weak is not so dangerous as their friendship.

La haine n'est pas moins volage que l'amitié.
Hate is no more inconsistent than friendship.

La modération des faibles est médiocrité.
The moderation of the weak is but mediocrity.

La perfection d'une pendule n'est pas d'aller vite, mais d'être réglée.
The beauty [lit.: perfection] of a pendulum is not to go fast, but to be regular [lit.: regulated].

La raison nous trompe plus souvent que la nature.
Reason fools us more often than nature does.

La servitude abaisse les hommes jusqu'a s'en faire aimer.
Servitude lowers men to the point of making them love it.

La solitude est à l'esprit ce que la diète est au corps, mortelle lorsqu'elle est trop longue, quoique nécessaire.
Solitude is to the spirit/mind as the diet is to the body; deadly when it goes on too long, but necessary.

Le corps a ses grâces, l'esprits ses talents, le coeur n'aurait-il que des vices?
The body has its rewards, the mind its abilities; would the the heart have nothing but vices?

Le défaut d'ambition, dans les grands, est quelquefois la source de beaucoup de vices; de là le mépris des devoirs, l'arrogance, la lâcheté et la mollese.
The lack of ambition in the nobles [lit.: greats] is often the source of many vices; from there comes contempt for work, arrogance, cowardice and softness.

Le prétexte ordinaire de ceux qui font le malheur des autres est qu'ils veulent leur bien.
The usual pretext of those who cause misery in others is that they wish them well [lit.: want their good].

Les conseils de la vieillesse éclairent sans échauffer, comme le soleil d'hiver.
The advice of the elderly illuminates without warmth, like the winter sun.

Les femmes ne peuvent comprendre qu'il y ait des hommes désintéressés à leur égard.
Women cannot understand that there are men who care not for their considerations.

Les feux de l'aurore ne sont pas si doux que les premiers regards de la gloire.
The fires of dawn are not so sweet as the first views of glory.

Les grandes pensées viennent du coeur.
The great thoughts come from the heart.

Les hommes ont de grandes prétentions et de petits projets.
Men have great pretensions and small plans.

L'ambition ardente exile les plaisirs de la jeunesse pour gouverner seule.
Burning ambition denies the pleasures of youth to govern alone.

Ni l'ignorance n'est défaut d'esprit, ni le savoir n'est preuve de génie.
Ignorance is no more the lack of intelligence than knowledge is proof of genius.

Nous n'avons ni la force ni les occasions d'exécuter tout le bien et tout le mal que nous prejetons.
We have neither the strength nor the opportunity to do all of the good or the evil that we plan for.

Nous n'avons pas assez d'amour-propre pour dédaigner le mépris d'autrui.
We never have enough self-esteem to ignore the disdain of others.

On méprise les grands desseins lorsqu'on ne se sent pas capable des grands succès.
One disdains grand designs when one senses that one is incapable of great successes.

On ne peut juger de la vie par une plus fausse règle que la mort.
One can't judge a life by any less true measure than death.

On promet beaucoup pour se dispenser de donner peu.
One promises a great deal so that one is free to give little.

Personne n'est sujet à plus de fautes que ceux qui n'agissent que par réflexion.
No one is subject to more mistakes than those who only act upon reflection.

Pour exécuter de grandes choses, il faut vivre comme si on ne devait jamais mourir.
To do great things, one must live as if one never had to die.

Quant on sent qu'on n'a pas de quoi se faire estimer de quelqu'un, on est bien près de le haïr.
Whereupon one senses that one has no way of making someone judge you well, one is well-placed to hate him.

Quelque mérite qu'il puisse y avoir à négliger les grandes places, il y en peut-être encore plus à bien les remplir.
Whatever merit there is in avoiding great places, there is more in filling them.

Quiconque est plus sévère que les lois est un tyran.
Anyone who is harsher than the law is a tyrant.

Un homme sans passion est un roi sans sujet.
A man without passion is a king without subjects.

Lorsqu'une pensée est trop faible pour porter une expression simple, c'est la marque pour la rejeter.
When a thought is too weak to be expressed simply, it's a sign it should be rejected.

La clarté orne les pensées profondes.
Clarity is the ornament of deep thoughts.

Le courage a plus de ressources contre les disgrâces que la raison.
Courage has more wherewithal to combat disgrace than reason does.

Nos plus sûrs protecteurs sont nos talents.
Our most sure protections are our natural talents (or endowments).

Les maximes des hommes décèlent leur coeur.
The maxims (or dictums) of men retard their hearts.

La raison ne connaît pas les intérêts du coeur.
Reason (or reasoning intelligence) is not familiar with the interests of the heart.

La pensée de la mort nous trompe; car elle nous fait oublier de vivre.
Thoughts of death fool us, in that they make us forget to live.

La plus fausse de toutes les philosophies est celle qui, sous prétexte d'affranchir les hommes des embarras des passions, leur conseille l'oisiveté, l'abandon et l'oubli d'eux-mêmes.
The most untrue of all philosophies is that which, under pretext of liberating men from the troubles of his passions, counsels idleness, dereliction and forgetting of oneself.

Nous querellons les malheureux pour nous dispenser de les plaindre.
We quarrel with the unhappy to dispense with their complaints.

La dépendance est née de la société.
Dependence is the child [lit.: is born of] of society (or company).

Il est bon d'être ferme par tempérament et flexible par réflexion.
It is good to be steadfast (or strong-willed) by temperament and flexible upon reflection.

L'homme ne se propose le repos que pour s'affranchir de la sujétion et du travail: mais il ne peut jouir que par l'action et n'aime qu'elle.
A man does not advise rest except to liberate himself from dependency and work: but he cannot experience his best except by action, and he doesn't like it.

Est-il contre la raison ou la justice de s'aimer soi-même? Et pourquoi voulons-nous que l'amour-propre soit toujours un vice?
Does it go against reason or justice to love oneself? And why do we wish that self-esteem is always a vice?

L'art de plaire est l'art de tromper.
The art of pleasing people is the art of fooling them.

Le sentiment ne nous est pas suspect de fausseté.
We never suspect sentiment (or feeling) of falsehood.

Il ne faut pas laisser prévoir à un lecteur ce qu'on veut lui dire, mais le lui faire penser, afin qu'il puisse nous estimer d'avoir pensé comme lui, mais après lui.
One mustn't let a reader anticipate what one wishes to say to him, but must make him think, so that he can assume we have thought as he has, but after him.

Monday, December 10, 2007

L'Isolement (Isolation) -- Alphonse de Lamartine



Souvent sur la montagne, à l'ombre du vieux chêne,
Au coucher du soleil, tristement je m'assieds ;
Je promène au hasard mes regards sur la plaine,
Dont le tableau changeant se déroule à mes pieds.

Ici gronde le fleuve aux vagues écumantes ;
Il serpente, et s'enfonce en un lointain obscur ;
Là le lac immobile étend ses eaux dormantes
Où l'étoile du soir se lève dans l'azur.

Au sommet de ces monts couronnés de bois sombres,
Le crépuscule encor jette un dernier rayon ;
Et le char vaporeux de la reine des ombres
Monte, et blanchit déjà les bords de l'horizon.

Cependant, s'élançant de la flèche gothique,
Un son religieux se répand dans les airs :
Le voyageur s'arrête, et la cloche rustique
Aux derniers bruits du jour mêle de saints concerts.

Mais à ces doux tableaux mon âme indifférente
N'éprouve devant eux ni charme ni transports ;
Je contemple la terre ainsi qu'une ombre errante
Le soleil des vivants n'échauffe plus les morts.

De colline en colline en vain portant ma vue,
Du sud à l'aquilon, de l'aurore au couchant,
Je parcours tous les points de l'immense étendue,
Et je dis : " Nulle part le bonheur ne m'attend. "

Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumières,
Vains objets dont pour moi le charme est envolé ?
Fleuves, rochers, forêts, solitudes si chères,
Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé !

Que le tour du soleil ou commence ou s'achève,
D'un oeil indifférent je le suis dans son cours ;
En un ciel sombre ou pur qu'il se couche ou se lève,
Qu'importe le soleil ? je n'attends rien des jours.

Quand je pourrais le suivre en sa vaste carrière,
Mes yeux verraient partout le vide et les déserts :
Je ne désire rien de tout ce qu'il éclaire;
Je ne demande rien à l'immense univers.

Mais peut-être au-delà des bornes de sa sphère,
Lieux où le vrai soleil éclaire d'autres cieux,
Si je pouvais laisser ma dépouille à la terre,
Ce que j'ai tant rêvé paraîtrait à mes yeux !

Là, je m'enivrerais à la source où j'aspire ;
Là, je retrouverais et l'espoir et l'amour,
Et ce bien idéal que toute âme désire,
Et qui n'a pas de nom au terrestre séjour !

Que ne puîs-je, porté sur le char de l'Aurore,
Vague objet de mes voeux, m'élancer jusqu'à toi !
Sur la terre d'exil pourquoi resté-je encore ?
Il n'est rien de commun entre la terre et moi.

Quand là feuille des bois tombe dans la prairie,
Le vent du soir s'élève et l'arrache aux vallons ;
Et moi, je suis semblable à la feuille flétrie :
Emportez-moi comme elle, orageux aquilons !
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Often on the mountain, in the shadow of the old oak,
At the setting of the sun, I sit myself sadly down;
My gaze wanders at random over the plain,
Whose changing tableau unfolds at my feet.

Here thunders the mighty river of frothy waves,
It snakes, and sinks into the obscure distance;
There, the still lake extends its sleeping waters
To where the evening star rises in the azure.

To the summit of these mounts crowned with dark woods,
The dusk still throws a last ray;
And the floating chariot (vapour) of the queen of shadows
Climbs, and already whitens the edges of the horizon.

Meanwhile, clinging to the gothic spire,
A religious sound reverberates through the air:
The traveler stops himself, and the rustic clock
With its final sounds of the day mixes with the holy concert.

But in these two tableaus my uncaring soul
Perceives before them neither charm nor transports;
I contemplate the earth as a wayward shadow which
The sun of the living excites (heats) not the dead.

From hill to hill in vain moves my view,
From the south to the north wind, from the rising to the setting,
I pass over every point of the vast spread,
And I say: “Nowhere does happiness await me.”

What are they doing to me, these glens, these palaces, these cottages,
Vain objects of which the charm has been stolen from me.
Rivers, rocks, forests, lonely beloved places,
A single being you lack, and all is emptied of people!

When I could have followed its great progression,
My eyes would have seen everywhere the emptiness and deserts:
I desire nothing of that which it enlightens (lights);
I ask nothing of this immense universe.

But perhaps beyond the limits of its sphere,
Places where the true sun lights other skies,
If I could leave my mortal remains to the earth,
That of which I dream would appear before my eyes!

There, I would get drunk at the source of my desire;
There, I would find hope and love,
And this fine ideal that every soul desires,
And that which has no name in the terrestrial sojourn.

If I only could, carried by the Chariot of Aurora,
Vague object of my vows, throw myself towards you!
On the earth our exile why should I stay?
There is nothing in common between the earth and me.

When the leaf of the woods falls on the meadow,
The wind of the night awakens itself and wrestles it into the glen;
And me, I am like that withered leaf:
Carry me like her, stormy North Winds!